Willy Staquet : Une mémoire vivante du swing & du musette
par Philippe Krümm
Accordéoniste belge aujourd’hui âgé (mais jeune pour longtemps
encore !), Staquet a connu et joué avec de célèbres musiciens du swing
et du musette : Charles Verstraete, Duleu, Cantournet, Viseur, Carrara,
Murena, Prud'homme… Willy considère qu’il a commencé tardivement
l’instrument, que son père pratiquait cependant en chevronné — ami du
Français Henri Bastien, entre autres, il joua même en 1925 avec Django
Reinhardt. Quelques jalons et anecdotes.
Willy Staquet est initié d’abord au solfège, à 14 ans. En
parallèle, il mène alors ses études et le piano, ainsi que le
contrepoint et l’harmonie, avec Alex de Taye, prix de Rome et directeur
du conservatoire de Mons. Willy signera d’ailleurs plus tard quelques
morceaux d’accordéon avec lui. Mais, surtout, pour l’instant, il apprend
la batterie. Il joue avec les Dixie Stompers, à Mons, et gagne en 1941
le prix du meilleur batteur à l’occasion d’un tournoi de jazz (tel qu’il
en existait alors). Toutefois, son père — qui le vouvoyait et
était un homme plutôt rude — l’avertit : « Si vous continuez ainsi à jouer de la batterie, vous ne vous ferez jamais un nom ! »
« T'as une bonne bouille, tu vas réussir ! » (Scotto)
En 1937, Willy accompagne son père à l’“Exposition de Paris”. Il y
fait, émerveillé, la connaissance de Freddo Gardoni, qui tient son Bar
des Vedettes au faubourg St-Martin. Les deux Belges logent là et, le
lendemain, vont voir une revue sur les Champs-Élysées. L’occasion de
rencontrer pour une discussion Vincent Scotto, qui inocule à Willy une
bonne dose de confiance avec une remarque qu’il n’oublie pas : « T’as une bonne bouille, toi, tu vas réussir ! » Une
recommandation est décisive dans la carrière de Willy, devenu
entre-temps accordéoniste. C’est celle d’Émile Carrara, qui a la
gentillesse de l’introduire au Club de l’Accordéon à Paris (un peu plus
tard, Willy enregistra aussi Mon amant de Saint-Jean, pour Decca,
avec deux fameux guitaristes, Lucien Belliard et Saranc Féret). Le
jeune Belge fait la connaissance d’Émile Prud'homme, Tony Murena, Gus
Viseur (avec qui il cocomposera quelques morceaux, dont La verdine
— mot argotique pour “roulotte”). Son bagage de batteur lui est très
utile pour le tempo ! Sa carrière, très riche, s’épanouit alors, plutôt
swing dans les débuts mais, pour des raisons d’audience, nettement plus
musette ensuite.
Grands musiciens et bons vivants
La mémoire de Willy déborde de souvenirs, d’anecdotes qui ont le
mérite de nous montrer sous un jour quotidien ceux dont les
enregistrements sont devenus célèbres. Ainsi, alors qu’il déjeune chez
Gus Viseur, à Passy, et qu’il lui fait part de son manque d’instrument,
Gus se lève, décroche un rideau, puis saisit un accordéon prêté en
permanence par Tony Murena et l’enveloppe soigneusement. « Tiens ! »
Viseur a beaucoup marqué Willy, avec un style personnel, presque
inimitable. Il se souvient aussi de lui comme de quelqu’un qui
connaissait le chemin de la cave et aimait fort le beaujolais…
Il se rappelle aussi de repas chez Émile Prud'homme, à Triel. Un
musicien gentil avec lui, qui venait souvent le chercher à son hôtel,
Gare de Lyon. Émile était grand amateur de blanc de blanc, en ouvrait à
table, même s’il savait que son convive ne buvait pas. Discrètement,
tout en discutant, il échangeait son verre vide contre celui, plein, de
Willy… Au début des années 1950, il enregistre le titre Trompette-musette et laisse un disque, bien sûr, à André Verchuren. Peu après, on lui remet un mot qu’il conserve encore aujourd’hui. « Je suis toujours resté belge, écrit l’auteur des Fiancés d’Auvergne, et je signerai bien volontiers un morceau avec vous. »
Willy anima souvent, avec son instrument, des émissions de
télévision, dont “Musique parade”, en 1956, avec une myriade de
vedettes, comme Line Renaud. À partir de 1972, ce seront
84 émissions, dix années durant, avec “Chansons à la carte” !
Parmi tous ses souvenirs, quelques-uns font vibrer Willy un peu plus,
comme lorsqu’il joua au bal du Roi Baudouin, pour son vingt-cinquième
anniversaire. Des gens comme lui, au-delà de leurs qualités
— amplement reconnues — de musicien, sont bel et bien les mémoires
d’un art, d’une culture. Sachons les écouter pour retenir un souvenir
chatoyant et complexe plutôt que des synthèses froides de livres
d’histoire… C’est seulement ainsi, par la rencontre et l’écoute, que la
vie, musicale ou non, ne meurt pas. Et Willy Staquet est encore
sensible, malicieux et vif à souhait.
Claude Ribouillault / Article paru dans le N°14 d'Accordéon & Accordéonistes
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