Patrick
Gaumer ( extrait de La vie du Collectionneur n° 209)
Les
origines
Né en 1945, le journal de bandes dessinés "Vaillant", d'inspiration communiste, changea de titre 20 ans plus tard, pour prendre le nom de l'un de ses principaux héros Pif.
A la Libération, et après avoir connu ses heures sombres, la bande dessinée francophone redresse timidement la tête. Fin 1944, contrant les restrictions papetières, quelques audacieux se lancent dans l'aventure. Parmi eux, retenons l'union de la jeunesse républicaine de France, un mouvement d'inspiration communiste. A son actif, le jeune patriote, un organe de presse publié jusqu'alors de façon clandestine. Le 13 octobre 1944, cet opuscule sort enfin de l'ombre, adopte une nouvelle numérotation, et publie même une bande dessinée, non signée. Ses piètres qualités ne l'auraient sans doute pas fait entrer dans l'histoire du 9ème art, Si cet opuscule n'avait en réalité servi de banc d'essai à l'un des plus fabuleux magazines de bande dessinée de l'après-guerre.
Après 30 numéros, publiés jusqu'au 12 mai 1945, l'hebdomadaire cède en effet la place au journal "Vaillant".
Jusqu'en octobre 1944, ce journal fut publié clandestinement. Le titre se veut un hommage à l’écrivain et journaliste Paul-Vaillant-Couturier, et non comme beaucoup le pense, une manière de profiter de la notoriété du catholique "Coeurs Vaillants". Edité sous un label homonyme, "Vaillant" enchaîne donc, dès le 1er juin 1945, avec un numéro 31.
Jusqu’en mai 1946, le revue rappelle ses origines par son sous-titre de "Jeune Patriote", puis devient "Le journal le plus captivant.
Après une périodicité bimensuelle, Vaillant passe hebdomadaire au n° 59 (en juin 1946).
L'esprit
de résistance
les débuts de "Vaillant" sont encore forts modestes. On y exalte la Résistance, et les Allemands y sont montrés comme de sombres barbares. N'oublions pas qu'à cette époque, l'armistice vient tout juste d'être signée. La plus belle illustration de cet esprit cocardier et revanchard s’exprime dans "Fifi, gars du maquis", une série rédigée par Michel d'Eaubonne (au bebonne), puis par Roger Lécureux : ce dernier devenant par la suite l'un des principaux scénaristes du journal. Auguste Liquois en assure au départ l'illustration.... un choix pour le moins étonnant quand on sais que ce dessinateur participa activement au Téméraire , l'un des supports illustrés collaborationnistes.
La fameuse loi du 15 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse n'ayant pas encore été votée , les excès y sont légion et on ne compte plus les scènes de torture et autres actes de violence gratuite parsemant cette bande dessinée réaliste.
Une bonne dose d'humour
L’humour est heureusement présent dans la revue, par l'intermédiaire de "R.Huddi", une série mise en image par Eugène Gire. On y conte les exploits d’un adolescent plutôt sérieux, et de son chien Nifrate.... Particularité de taille, Nifrate tutoie son maître, tandis que le jeune homme vouvoie son chien! Cette saga s'impose par sa loufoquerie, son esprit très particulier basé à la fois sur l'humour du texte, préviligiant le calembour et un comique visuel : les décors n'hésitant pas à s'animer sous l'effet de telle ou telle situation.
Parmi les autres bandes dessinées humoristiques, notons également Les extraordinaires aventures de "Biquet et de son chien Plouf", dessinés par Mat.
Censure ou pénurie?
En septembre 1945 et alors que son succès est indéniable - rappelons que bon nombre de supports publiés avant -guerre ont purement et simplement disparu ou sont pour l'heure suspendus - la revue doit modérer ses ambitions et supprimer ses principales bandes dessinées. La raison invoquée ? Une décision du Ministère de l'information de l'époque, qui interdit certaines séries et qui s'insurge contre un logo "trop visible dans les kiosques” ! En réalité, tant que le journal se présentait comme le bulletin d'un mouvement de jeunesse, tout allait bien : son impact étant de fait limité. A partir du moment où la revue est diffusée ouvertement dans les kiosques, et commence à connaître un légitime plébiscite, ses ventes augmentent et ses besoins en papier connaissent un ascension similaire. Plutôt qu'un acte délibéré de censure, on peut voir dans cette décision une tentative, maladroite, de gérer la pénurie papetière.
La science-fiction fait son apparition
En décembre 1945, et après plusieurs semaines de disette, Vaillant connaît un nouvel envol de ses ventes, grace à l'arrivée des "Pionniers de l'Espérance", l'une des meilleurs créations de la bande dessinée de science-fiction l'une des plus longues aussi, puisqu'elle se prolongera jusqu'en 1973. Scénarisée par Lecureur, dessinée par Raymond Piövet, cette série d'anticipation marquera l'imaginaire de ses lecteurs. Rappellons-en rapidement la trame. La planète Radias se rapproche de la Terre et provoque toutes sortes de cataclysmes. Devant l'imminence du danger, "Espérance", un vaisseau spatial dont la forme n'est pas sans rappeler les sinistres V2 allemands, est envoyé à sa rencontre. A son bord, un équipage international composé notamment de l'Américaine Maud, de la Chinoise Tsin-lu, du Soviétique Rodion, et du Français Robert. Tout ce joli monde part à la découverte de l'univers. A la différence d'autres personnages, ces pionniers se refusent à toute conquête, et ne cherchent qu'à élargir le champ de leurs connaissances.
Placid et Muzo, le duo comique
En mai 1946, le journal s'enrichit d'un duo comique promis à un auguste destin : "Placid et Muzo", animé par l'Espagnol José Cabrera Arnal, sur un texte de Pierre Olivier. Jouant sur la dichotomie des caractères - Placid l'ours n'étant pas, comme son nom l'indique, très dynamique ; Muzo, le renard, étant quant à lui particulièrement rusé - , les auteurs signent l'une des meilleures séries du journal, relayée par la suite par son propre fascicule en format "poche” . Premiers personnages emblématiques du journal, ils se verront reproduits sur les publicités et les bulletins d'abonnement, et feront même l'objet d'insignes et de produits dérivés.
Place à l’aventure
De 1946 à 1948 , Vaillant ouvre son sommaire à de talentueuses séries réalistes. Soulignons ainsi l'entrée en scène de l'aviateur "Bob Mallard" (par Rérny Bourlès) ; du justicier "Nasdine Hodja" : du preux "Yves le loup" (par René Bastard) ; du broussard "Lynx blanc" (par Rob Sim, puis Paul Gillon) : de l'enquêteur "Freddi" (par Claude-Henri Juillard) ; du navigateur "Capitaine Cormorant" ; et du cow-boy "Sam Billi Bill" (par Lucien Nortier). Parallèlement aux récits de Lécureux, Jean Ollivier devient le deuxième scénariste attitré du journal. Tout en poursuivant "R. Hudi", Eugène Gire donne naissance à "La pension Radicelle", puis à "A. Abord", deux nouvelles séries humoristiques. Publiées respectivement à partir de 1947 et 1949.
Plus de pages et moins d'argent
Le 2 avril 1950 (au n° 255), le périodique double sa pagination et passe à seize pages. Trubert crée l’éphémère "Bobby Poirier" : Lécureux et Gillon se lancent dans "Fils de Chine", un récit contant, de manière épique, la Longue Marche de Mao transfuge du magazine 34 (une petite revue rebaptisée par la suite 34 Caméra, puis Caméra), "Charles Oscar", un sympathique bonhomme passant le plus clair de sa retraite à résoudre différentes énigmes, fait son apparition sous le pinceau de Claude-Henri. Le 11 février 1951, Vaillant publie son 3OOème numéro. Cette apparente prospérité cache, en réalité, d'importantes difficultés financières, et les éditions "Vaillant" ouvre une souscription à laquelle participent les Vaillants et les Vaillantes (un mouvement laïque pour les enfants, fondé dès juillet 1945, par l’Union de la Jeunesse Républicaine de France, qui avait comme volonté affichée de ne pas laisser le scoutisme en situation de monopole, les CDH (les diffuseurs de l'Humanité) et, bien entendu, les lecteurs du journal. Parmi les souscripteurs, mentionnons, pour la somme de 5 F de l'époque, le petit Alain Krivine !
Animaux en cases
Début 1952, tout semble rentrer dans l'ordre, même Si Vaillant doit augmenter son prix à 30 F. Tandis qu’André Joy décrit avec force conviction le milieu hippique dans "Petit Joc", Jean-Claude Forest fait son entrée. Après quelques épisodes de "Charlot", il donne naissance à une curieuse bestiole baptisée "Copyright". puis Copyrit et la série "Pour la Horde".
L'arrivée de Pif le chien
1952 reste également marquée par l'arrivée de "Pif", un drôle de chien apparu à l'origine dans le quoditien l'Humanité ; puis dès 1950 dans Sa propre collection d'albums souples, sous la houlette d'Arnal. Rapidement, ce dernier lui adjoint le chat "Hercule". L'ineffable cabot ne tarde pas à s’accaparer la vedette au sein du périodique... à telle enseigne que l'hebdomadaire est réintitulé Vaillant le journal de Pif en 1965, avant de devenir Pif Gadget en 1969. Mais ne bousculons pas la chronologie.
Tout au long des années 50, Vaillant dose savamment ses séries comiques et réalistes, et n'hésite pas à introduire de nombreuses nouveautés. Parmi celles-ci, retenons "louk", un chien-loup égaré au coeur des étendues du grand-Nord canadien, par Claude Pascal (en 1953) ; "Arthur le fantôme", une série drôle et poétique de Jean Cézard (en 1954); "Kam et Rah", deux sympathiques bandits de l'ouest mis en scène par le prolifique Gire, apparus plus tôt dans Caméra puis "Ragnar le Viking", une saga animée par le portugais Eduardo Texeira Coeiho (en 1955). Mentionnons également "Jacques Flach", un journaliste capable de se rendre invisible, dessiné par Pierre Leguen ; et "Cha'pa et Group Group", un petit indien et son bizarre animal mangeur de silex, conçus par l'Espagnol Ramon Monzon, en 1956. En novembre 1956 (au n° 599), Vaillant passe à 32 pages, dont 16 en quadrichromie. Là encore, les bandes dessinées se multiplient, Jean Tabarly, le futur papa d' Iznogoud, crée "Richard et Charlie" en 1956, puis "Totoche" en 1959.
En 1957, Claude Pascal entraîne "Les Chats huants" dans quelques missions sans lendemain. Cette même année, et entre deux épisodes de "Ragnar", Coelho illustre les exploits de "Davy Crockett", puis de "Wango".
En 1958, Jor Dom (Jorge bomenech) présente les exploits domestiques de "Boniface", un petit gros hableur, et d'Anatole, un grand dégingandé. Non signé, les gags de cette série sont, en fait, rédigés par René Goscinny. Tabary met épisodiquement en scène "Grabadu et Babaliouchtou", salué par Marcet Gotlib - des années plus tard et dans Fluide Glacial - comme "les deux héros les plus cons de la bande dessinée". Au n° 685 (daté du 29 juin), "Pif" se retrouve papa - par on ne sait trop quel miracle ! - de "Pifou", un chiot au vocabulaire réduit, ses deux seules expressions se limitant à "glop" et "Pas glop". Le rejetons n'acquiert son indépendance qu'en mars 1964.
En 1959, le journal connaît de nouvelles difficultés économiques, et ne comporte plus que 24 pages, à l'exception d'un numéro par mois, maintenu à 32 pages. Malgrè cette diminution, "Vaillant" propose, durant quelques semaines, un supplément humoristique et central, baptisé "Pipsi", publiant notamment une bande dessinée homonyme, réalisée par Goscinny et Christian Godard. Tabary crée "Totoche".
Du journal le plus captivant au journal de Pif
Le 15 mai 1960, au n° 783, Vaillant retrouve ses 32 pages et poursuit ses principales séries. Le n° 800 coïncide avec le 15ème anniversaire du journal. Depuis peu, "Jeannot" - non encore martyrisé par "Corinne" -, a rajoute la petite bande de "Totoche".
Le 3 avril 1965 ( au n° 1038), l'hebdomadaire réduit encore son format, abandonne son titre de " Journal le plus captivant" pour celui de “Journal de Pif". Après divers récits complets, Nîkita Mandrykus adopte le pseudonyme de kalis et donne naissance au "Concombre masqué". Quelques semaines plus tard, "Robin des bois" apparaît sous les crayons de Mortier et Christian Gaty. En 1966, ce duo enchaîne avec le "Grêle 7/13" - Jean-Pierre Gavroche, un héros reconnaissable à ses taches de rousseur 7 sur la joue droite, 13 sur la Joue gauche - la toute dernière grande série du journal à aborder le thème de la résistance. A l’occasion du spécial Noël 1961 (n° 867), Vaillant propose, anachroniquement son premier gadget ; des lunettes bicolores permettant de découvrir " en relief “ certains récits. Le 27 mai 1962 (au n° 889), Vaillant diminue son format, passe de 32 à 48 pages, et améliore la qualité de son papier. Reste que bon nombre de personnages tirent leur révérence et que cette nouvelle formule scelle la fin d’ une époque. D'ailleurs certains collectionneur “ puristes ' n'hésitent pas à limiter leur collection aux seuls “ grands formats ". Le 30 septembre de la même année, Gotlib, qui signe alors sous le pseudonyme de Morglo, fait une entrée discrète avec "Nanar et Jujube": " Gai baron" fera sa première apparition dans cette série en juillet 1964, et s'accaparera peu à peu la vedette. Dès 1963, l'hebdomadaire propose le western "Teddy Ted," dessiné par Fransicso Hidalgo, puis Gérard Forton. Présent tout à la fois dans Tintin (Babiole et zou, Zig et Puce) et dans Pilote (Achille talon), Greg trouve encore le temps de collaborer à Vaillant avec "les As", une bande de gamins regroupés autour de la bannière de "Quentin Genti"l. Notons cependant qu'après deux histoires complètes l'auteur se fera assister par son studio composé notamment de Dupa, de Dany et de Mazel. Afin de ne pas sortir un " Spécial " en plein été, une période peu propice aux ventes, le n° 997 (daté du 21 juin 1964) est arbitrairement titré “ Spécial” 1000 et composé uniquement de récits complets les histoires à suivre se continant une semaine plus tard. A son sommaire on y découvre successivement "Pif", "Bob Mollard", "Les As", "Yves le loup", "Placid et Muzo", "David Crockett", "Arthur le fantôme", "Jacques Flash" et "Nasdine Hodja". Le 12 juillet 1964, Vaillant publie son véritable millième numéro, avec un "Pif" sans-culotte en couverture. Tandis que Louis Cance succède à Rager Mas sur le personnage de "Pif", Gillon entraîne "Jérémie" au coeur de la flibuste. Fin 1968, l’italien Massino Mattioli crée le malicieux et minimaliste "M. le magicien". La sortie du n° 1238, daté du 23 février 1969, marque véritablement la fin d'une revue. En, effet, dès la semaine suivante, "Vaillant" disparaît...
A signaler que s'il se réfère à une culture populaire de gauche, VAILLANT n'a jamais versé dans des excès idéologiques comme ont pu le faire - a contrario - les périodiques de la presse catholique.
L'ancêtre serait MON CAMARADE, mentionné dans le dictionnaire de la bande dessinée Larousse page 171, à la rubrique DAN BOD.